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C'est la fête à tromper les gens du bout de la semaine

Vidéo, 3', 2010

Musique Laurent choquel 

 

 

"Et la musique est revenue dans la fête, celle qu'on entend d'aussi loin qu'on se souvienne dans les temps qu'on était petit, celle qui ne s'arrête jamais par-ci, par-là, dans les encoignures de la ville, dans les petits endroits de la campagne, partout où les pauvres vont s'asseoir au bout de la semaine pour savoir ce qu'ils sont devenus. Paradis! Qu'on leur dit. Et puis, on fait jouer de la musique pour eux, tantôt ci tantôt là, d'une saison dans l'autre, elle clinque, elle moud tout ce qui faisait danser l'année d'avant les riches. C'est la musique à la mécanique qui tombe des chevaux de bois, des automobiles qui n'en sont pas, des montagnes pas russes du tout et du tréteau du lutteur qui n'a pas de biceps et qui ne vient pas de Marseille, de la femme qui n'a pas de barbe, du magicien qui est cocu, de l'orgue qui n'est pas en or, derrière le tir dont les œufs sont vices. C'est la fête à tromper les gens du bout de la semaine. []

C'est la fête, quoi. Faut être amusant quand on peut, entre la faim et la prison, et prendre les choses comme elles viennent. Puisqu'on est assis, faut déjà pas se plaindre. C'est toujours ça de gagné. "Le Tir des Nations" le même, je l'ai revu, celui que Lola avait remarqué, il y avait bien des années passées à présent, dans les allées du parc de Saint-Cloud. On revoit de tout dans les fêtes, c'est des renvois de joie les fêtes. Depuis le temps, elles avaient dû revenir se promener les foules dans la grande allée de Saint-CloudDes promeneurs. La guerre était bien finie. Au fait, était-ce toujours le même propriétaire au Tir? Est-ce qu'il est revenu de la guerre celui-là? Tout m'intéresse. j'ai reconnu les cibles, mais en plus, on tirait à présent sur des aéroplanes. Du nouveau. Des progrès. La mode. La noce y était toujours, les soldats aussi et la Mairie avec son drapeau. Tout en somme. Avec bien plus de choses encore à tirer qu'autrefois.

Mais les gens s'amusaient davantage dans le manège aux automobiles, des inventions récentes, à cause des espèces d'accidents qu'on n'arrêtait pas d'avoir là-dedans et des secousses épouvantables que ça vous donne dans la tête et aux tripes. Il en venait sans cesse d'autres ahuris et gueulailleurs pour se tamponner sauvagement et retomber tout le temps en vrac et se démolir la rate au fond des baquets. Et on ne pouvait pas les faire arrêter. Jamais ils ne demandaient grâce, jamais ils ne semblaient avoir été aussi heureux."

 

Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la nuit (1932)

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